Dans le système judiciaire belge, la voix des plus jeunes, enfants et adolescents, est souvent difficile à prendre en compte vu ses particularités. Pourtant elle porte en elle une importance qui mérite une attention toute particulière. Les auditions d'enfants et d'adolescents dans les procédures judiciaires ne sont pas de simples formalités. En effet, elles représentent un pont essentiel entre le monde de la justice et l'expérience vécue par les jeunes impliqués. Que ce soit dans le cadre de procédures de divorce, d’hébergement, de maltraitance ou autre, donner la parole aux enfants et adolescents permet non seulement de prendre des décisions plus éclairées mais aussi de respecter leurs droits fondamentaux à être entendus et pris en compte.
Mon objectif pour cet article est triple. Premièrement, je souhaite expliquer et rendre compréhensible cette procédure, parfois méconnue. Comprendre comment ces auditions sont demandées, organisées et réalisées, permet de mieux appréhender l'importance de ces échanges dans le cadre judiciaire. Deuxièmement, je cherche à souligner l'importance de centrer ces auditions sur le vécu et les perceptions des enfants et adolescents. Enfin, à travers mon expérience, je souhaite rappeler quelques balises importantes pour que ces auditions se déroulent dans les conditions les plus bienveillantes pour les jeunes. En partageant connaissances et expertises sur ce sujet, j’espère amener à une meilleure prise en compte de la parole des enfants tout en faisant attention à certains points.
L'audition, c'est quoi ?
L'audition, dans le cadre judiciaire, est un processus par lequel le témoignage/le vécu/la vision d'un mineur est recueilli pour le Tribunal, le but étant d'informer et d'éclairer les décisions qui le concernent. Cette demande est guidée par le principe selon lequel les enfants et adolescents ont le droit d'être entendus dans toute procédure les affectant, reconnaissant ainsi leur statut d'individus, capables d'exprimer des opinions et des sentiments valides (article 12 de la Convention Internationale des Droits de l’Enfant -CIDE).
Demandes d'audition
Les circonstances menant à l'audition d'un enfant ou d'un adolescent dans un cadre judiciaire varient. Une audition peut être demandée, par exemple, dans le cadre de la séparation des parents de l'enfant, ou lorsqu’il s’agit de conflits concernant l’hébergement de celui-ci. Dans ces situations, l'audition de l'enfant peut être sollicitée pour prendre en compte ses ressentis au niveau du lien qu'il a avec chaque parent, de son hébergement et pour évaluer l'impact de la séparation de ses parents sur son bien-être émotionnel et psychologique. L'objectif est de s'assurer que les décisions de garde répondent au mieux aux intérêts de l'enfant. Toute mission d'audition résulte d'une décision prise par le Juge.
Demandes d'audition
Les circonstances menant à l'audition d'un enfant ou d'un adolescent dans un cadre judiciaire varient. Une audition peut être demandée, par exemple, dans le cadre de la séparation des parents de l'enfant, ou lorsqu’il s’agit de conflits concernant l’hébergement de celui-ci. Dans ces situations, l'audition de l'enfant peut être sollicitée pour prendre en compte ses ressentis au niveau du lien qu'il a avec chaque parent, de son hébergement et pour évaluer l'impact de la séparation de ses parents sur son bien-être émotionnel et psychologique. L'objectif est de s'assurer que les décisions de garde répondent au mieux aux intérêts de l'enfant. Toute mission d'audition résulte d'une décision prise par le Juge.
Déroulement de l'audition
Dans notre cadre de travail, il est important, dans un premier temps, de créer un environnement adapté. L’audition doit se faire dans un lieu rassurant, adapté aux enfants et adolescents. Des fauteuils, des cadres colorés, des meubles, des jeux, etc. permettent aux enfants et adolescents de se sentir plus serein. Attention, toutefois, à ce que l’environnement ne soit pas trop distrayant afin que l’enfant ne porte pas son attention sur tout ce qui l’entoure.
L’audition doit se dérouler en présence d’un professionnel formé à la communication avec les enfants et sensibilisé à leurs besoins spécifiques. Par exemple, il faut adopter un langage clair et accessible, adapté à l'âge de l'enfant, pour expliquer le processus et pour poser des questions. De plus, les questions posées doivent, autant que possible, être des questions ouvertes, afin d’éviter d’orienter l’entretien. Parfois, pour les plus jeunes, l'utilisation de jeux ou de dessins peut faciliter l'expression de leurs pensées et sentiments.
La question de l’âge a une réelle importance. En effet, le psychologue doit pouvoir évaluer et déterminer la capacité du jeune à participer à l'audition et la meilleure manière de procéder. Il sera alors nécessaire de s’adapter au rythme du jeune, par exemple, en prenant en compte sa capacité d'attention pour adapter la durée de l'audition et inclure des pauses si nécessaire.
L'important, dans les auditions, est de se centrer sur le vécu de l'enfant, d'écouter et de comprendre son point de vue, sans préjugés. Le psychologue doit s'assurer que l'enfant est à l'aise et se sent en sécurité pour s'exprimer librement.
Ces mesures sont essentielles pour que l'audition contribue de manière positive à la procédure judiciaire, tout en respectant les droits et le bien-être de l'enfant. Elles permettent de s'assurer que ce dernier se sente écouté et valorisé, et que son témoignage est recueilli de la manière la plus fiable et empathique possible.
Les défis rencontrés
Peur et anxiété
Les enfants peuvent ressentir de la peur face à l'inconnu, que ce soit le lieu ou la personne qui fera l’audition. Cette anxiété peut être exacerbée par la crainte de répercussions liées à leurs témoignages.
Influence extérieure
Il y a un risque que l'enfant ait été influencé par des tiers, que ce soit de manière intentionnelle ou accidentelle. Cela peut altérer la fiabilité de leur témoignage.
Traumatisme
Les enfants qui ont vécu des expériences traumatisantes, surtout s'ils sont appelés à évoquer ces sujets, peuvent revivre leurs traumatismes lors de l'audition.
Biais de l'intervenant
Notre propre perception des choses peut avoir une influence sur les questions. Il est, dès lors, important de se détacher de nos convictions et de rejoindre autant que possible la parole du jeune.
Pour bien procéder
Comme mentionné auparavant, une formation spécifique est nécessaire : les professionnels doivent être formés à interagir avec des enfants dans un contexte judiciaire. Notre travail, à l’Atelier du Lien, se rapproche de programmes mis en place, comme ceux développés par le National Institute of Child Health and Human Development (NICHD), offrant des protocoles de formation spécifiques. Il existe trois phases dans ces protocoles :
Phase pré-déclarative
Phase déclarative
Phase de clôture
Initialement, la phase pré-déclarative vise à établir un climat de confiance avec l'enfant. Celui-ci est informé de la raison de sa présence, pour qu'il comprenne les enjeux de cette démarche et l'aider à s'exprimer en connaissance de cause. Nous nous présentons et clarifions notre fonction. Nous spécifions que l’audition sera enregistrée afin de recueillir fidèlement les échanges, mais aussi pour réaliser, par la suite, notre retranscription. En effet, tout ce qui sera dit lors de l’audition sera remis dans un rapport à destination du Juge ; les parents pourront également en prendre connaissance, lors de l'audience, ou via une demande adressée au Greffe du Tribunal concerné.
Il est aussi expliqué à l’enfant qu’il peut exprimer son incompréhension par rapport à nos questions, qu’il a le droit de dire qu’il ne sait pas répondre à certaines questions. Il a également le droit de nous corriger, et qu'il est important de se limiter à relater des faits réellement vécus et non imaginés. Enfin, nous lui indiquons qu'il a le droit de ne pas répondre à certaines questions s'il ne le souhaite pas. En effet, dans certaines situations de conflit parental, l'enfant perçoit, à juste titre, que ses réponses seront utilisées dans les procédures en cours. Il a le droit de préférer garder le silence, pour ne pas être impliqué dans les tensions existant entre ses parents. Nous lui rappelons enfin que son rôle n'est pas de "décider" (par exemple de ses modalités d'hébergement), ou de "choisir" (entre ses deux parents, qui resteront ses parents), et que la responsabilité des décisions revient et pèse sur les adultes, et non sur lui.
Durant la phase déclarative, l'objectif est de collecter le vécu de l'enfant sur d'éventuelles difficultés rencontrées. Un ensemble de phrases clés est utilisé pour encourager l'enfant à révéler ses expériences. Une fois que l'enfant commence à raconter, des demandes de précisions générales sont faites, suivies de questions ciblées pour enrichir le récit. S’il manque des informations, elles sont alors recherchées avec des questions plus directes.
La phase finale a pour but de conclure l'entretien dans de bonnes conditions. L'enfant est remercié pour sa contribution et peut, s'il le souhaite, aborder d'autres sujets, apporter des précisions supplémentaires ou poser des questions.
Et après ?
Après le déroulement de l’audition en tant que telle, dans notre pratique, un rapport est rédigé à destination du Juge ayant ordonné cette mission d'audition. Une analyse de l’audition est faite, en mettant, par après, ce qui a été évoqué par l’enfant ou l’adolescent en lien avec les missions demandées. Nous faisons alors des liens en se basant sur nos appuis théoriques de psychologie. Par exemple, la psychologie générale du développement de l’enfant ou encore la psychologie systémique (pour rappel, une famille peut être considérée comme un système dans lequel chacun entretient des relations avec chaque membre du système, qu’il le veuille… ou non. Tout changement sur une partie (ou la totalité) de ce système a alors des répercussions sur tous les membres qui la composent).
Aspects positifs au sein de la famille
L'utilité d'entendre la parole de l'enfant ou de l'adolescent dans le cadre d'une procédure judiciaire ne se limite pas à influencer les décisions du tribunal. En effet, elle peut également avoir un impact sur la dynamique familiale. Lorsqu'un enfant s'exprime, que ce soit sur sa vision idéale de son hébergement, ses sentiments concernant une situation familiale, ou son expérience de la séparation de ses parents, cela peut servir de source pour de nouvelles compréhensions au sein de la famille.
Nous avons l’espoir qu’entendre directement la voix de l'enfant encourage les parents et autres membres de la famille à reconnaître et à valider ses sentiments et perspectives, favorisant ainsi un environnement où le dialogue devient possible. Cela peut aider à réduire les conflits en mettant en lumière des aspects, jusque-là, ignorés ou mal interprétés de la situation vécue par l'enfant. De plus, cela offre l'opportunité de réajuster les relations familiales en fonction des besoins et des désirs exprimés par l'enfant, contribuant à une meilleure cohésion et compréhension mutuelle.
L'expression de l'enfant agit également comme un miroir reflétant l'impact émotionnel et psychologique des tensions familiales sur lui, poussant les adultes à reconsidérer leurs comportements et décisions sous un angle différent. Cela peut mener à des décisions plus centrées sur l'enfant, où le bien-être de celui-ci devient la priorité commune.
Revers de la médaille…
Toutefois, faire connaitre, au travers de la procédure d'audition, la parole de l'enfant ou de l'adolescent dans les décisions judiciaires comporte aussi des risques pour la dynamique familiale. Premièrement, il existe le risque de la manipulation ou de la pression, volontaire ou non, exercée sur l'enfant par l'un des parents ou les deux, dans le but d'influencer son témoignage. Cette situation peut placer l'enfant dans une position inconfortable, voire conflictuelle, exacerbant son stress et son anxiété face à la situation familiale déjà tendue.
De plus, la révélation de ses sentiments ou de ses préférences peut parfois générer des réactions négatives de la part de certains membres de la famille, en particulier si ces déclarations vont à l'encontre de leurs attentes ou de leurs souhaits. Cela peut entraîner des sentiments de rejet ou de culpabilité chez l'enfant, qui se sentira responsable des tensions ou des conflits qui peuvent en découler. Il existe aussi un risque, une peur, pour ces enfants, de blesser un des deux parents, voire les deux.
Un autre risque concerne le poids de la décision. Bien que l'opinion de l'enfant soit prise en compte, elle n'est qu'une partie des éléments considérés par le Juge pour rendre sa décision. Cela peut mener à une situation où l'enfant se sent impuissant et dans laquelle il ressent un sentiment d’injustice si les décisions finales ne reflètent pas son témoignage, affectant potentiellement sa confiance dans le système judiciaire et dans ses proches.
Le risque de surcharge émotionnelle est aussi présent. Parler de sujets sensibles ou traumatisants peut réveiller des douleurs passées chez l'enfant, nécessitant un soutien psychologique adapté pour l'aider à gérer ses émotions.
Enfin, comme cité précédemment, il est crucial de considérer l'âge et la maturité de l'enfant lors de l'audition. Un enfant peut ne pas saisir pleinement les implications de ce qu'il partage, ou peut être influencé par des questions suggestives, que ce soit par ses parents ou un autre membre de le famille avant l’audition, ou par le psychologue s’il n’est pas assez formé. Ceci implique alors une nécessaire prudence / réserve quant à la fiabilité de son témoignage.
Ces risques soulignent l'importance d'une approche prudente et mesurée lors de l'intégration de la parole des enfants dans les procédures judiciaires, en veillant à protéger leur bien-être émotionnel et psychologique tout au long du processus.
Conclusion
Dans la quête de la Justice, la nécessité de donner la parole aux enfants est plus que le simple fait de les entendre. Elle est une affirmation de leur statut d'êtres humains à part entière, dotés de droits, de sentiments et de perspectives qui méritent d'être considérés. Lorsqu'ils sont appelés à témoigner ou à partager leur vécu dans les procédures judiciaires, les enfants ne fournissent pas seulement des informations qui peuvent influencer les verdicts et les décisions, ils participent activement à un processus qui façonnera leur avenir. Entendre les enfants, c'est donc leur assurer que leur voix compte. Néanmoins, nous rappelons que ce n’est pas l’enfant qui peut prendre toutes les décisions qui le concernent mais que les décisions finales seront prises par les parents ou, si aucun accord n’est trouvé, par le Juge.
Cette possibilité d’entendre l’enfant est une richesse, mais suppose une approche respectueuse de l’enfant, par tous les intervenants, en tenant compte des risques que l’audition peut impliquer pour le jeune, comme nous l’avons vu. Cela requiert une prise de conscience collective et une action concertée pour mettre en œuvre des pratiques qui placent le bien-être de l'enfant au cœur de toute décision judiciaire. Nous devons nous engager à respecter leur vulnérabilité, à reconnaitre leur besoin d'être soutenus et compris, et à les protéger contre toute forme de préjudice durant les procédures judiciaires. Les droits de l'enfant, tels qu'énoncés dans la Convention Internationale des Droits de l'Enfant, ne sont pas de simples idéaux, ils sont le socle sur lequel toute justice équitable et attentive à l'enfance doit reposer.
Cet appel n'est pas uniquement adressé aux professionnels du droit ou aux acteurs du système judiciaire, mais à la société dans son ensemble. Il est de notre responsabilité collective de veiller à ce que chaque enfant, en dépit des difficultés de la vie et des conflits qui les amènent devant la justice, puisse compter sur un système qui les écoute, les respecte et œuvre inlassablement à garantir leur sécurité émotionnelle, leur développement et leur épanouissement futur.